Demain commence aujourd’hui
Marc Sagot, Secrétaire général de l’AFINEF, revient sur les positions portées par la filière et plus particulièrement de l’AFINEF lors de ces derniers mois : COVID, confinement, plans de relance et d’accélération, comment l’AFINEF y a contribué, comment les entreprises du secteur ont traversé cette période, quelles sont les pistes de réponses et les attentes de notre filière.
La crise sanitaire a-t-elle eu un impact sur la réflexion autour du numérique éducatif ?
Totalement ! En ce moment, nous avons l’impression d’être dans un laboratoire géant, c’est extrêmement motivant.
Il y a une émulation de la filière à tous les niveaux et on constate une volonté de la part de l’État de l’associer au déploiement du numérique dans le champ de l’éducation.
Prenons l’exemple du dispositif des TNE, les Territoires numériques éducatifs, initié par le SGPI (Secrétariat Général pour l’investissement), en partenariat avec le ministère de l’Éducation et opéré par la Banque des Territoires, déployé principalement dans les écoles primaires du Val d’Oise et de l’Aisne.
L’initiative prend en compte le message porté par la filière auprès des pouvoirs publics selon lequel une politique du numérique éducatif réussie passe par un égal investissement dans le matériel, la formation, ainsi que les ressources, services associés et objets pédagogiques numériques. Le désormais fameux « 1 € + 1 € + 1 € » qui veut tordre le cou aux divers plans d’investissement qui se sont succédé ces dernières décennies et qui ont laissé bien des tablettes et des ordinateurs dans des placards et dans leur emballage, faute d’une stratégie d’accompagnement pensée dans sa globalité.
Un déséquilibre encore trop important demeure sur ces deux territoires dans la part investie entre le matériel d’une part et les solutions numériques et l’accompagnement d’autre part. Le dispositif TNE, qui est aussi pensé par les pouvoirs publics pour expérimenter et tester, a d’ores et déjà intégré cette logique de répartition pour les dix autres territoires dans lesquels il est prévu de dupliquer le modèle.
Les représentants de la filière restent vigilants pour qu’il en soit ainsi, mais on voit clairement que la relation change. L’impact COVID et l’importance prise par le numérique à l’école avec la crise sanitaire n’y sont pas étrangers.
Ne seraient-ce pas les prémices d’un marché structuré ?
En effet. Dans le contexte actuel, les plans de relance et d’accélération devraient permettre de répondre aux attentes de la filière du numérique éducatif et contribuer à l’émergence d’un marché structuré et surtout pérenne.
Mais encore une fois, nous restons prudents, n’oublions pas que cette crise sanitaire sans précédent pourrait aussi nous desservir. En effet, le marché de l’éducation demeure à la fois complexe et bien spécifique. Les entreprises de la filière ne sont par ailleurs pas épargnées par la crise globale qui touche la grande majorité des acteurs économiques du pays.
Quelles sont les strates du marché du numérique éducatif ?
Au billard, il est toujours plus compliqué de réussir un coup à trois bandes ! Dans l’éducation, l’entreprise est à la fois tributaire de l’État, avec le ministère de l’Éducation nationale, qui porte une politique éducative volontariste (programmes, réformes des cursus, des cycles et des épreuves par exemple) ; des instances académiques qui veillent à leur bonne application sur le terrain ; mais aussi des collectivités territoriales dont chacune, la Région, le Conseil départemental et la Commune, dispose de compétences différentes (les unes en charge des lycées, les autres des collèges, les dernières enfin des écoles).
Si on ajoute à ce contexte où le donneur d’ordre (les pouvoirs publics) n’est pas le payeur (la collectivité), l’hétérogénéité de la culture et des attentes des principaux utilisateurs (les élèves et les enseignants), on en perçoit davantage la complexité.
Pour ne prendre que les élèves, mineurs pour une grande majorité, le numérique concerne aussi bien la sensibilisation aux compétences et aux outils numériques, que la protection vis-à-vis des usages commerciaux de leurs données personnelles, ou encore de les préserver des contenus inappropriés qui figurent sur la Toile.
Revenons aux enseignants, dont la formation demeure essentiellement disciplinaire et dont le numérique est bien souvent exclu : le principe de liberté pédagogique, leur attrait pour les solutions libres et gratuites sans discernement de l’usage des solutions et des données qui en sont faites, ne les placent pas réellement au cœur du réacteur.
Il suffit de recueillir leurs témoignages pendant le premier confinement. Ils n’ont pas manqué d’énergie pour accompagner leurs élèves, mais les outils et le savoir-faire numérique pour réussir le passage de la classe autobus à la classe virtuelle leur ont davantage fait défaut. Pour bon nombre d’entre eux, il semble en tout cas que la crise de la COVID a eu sur leur usage du numérique le fameux effet cliquet : ils ne devraient pas revenir en arrière !
Quelles sont les spécificités du secteur du numérique éducatif ?
Les entreprises de la filière du numérique éducatif ont la particularité d’être sans doute plus sensibles au contexte et au profil de ses usagers que dans d’autres secteurs d’activité. Les entreprises de la EdTech élaborent leurs solutions avec le concours des enseignants et parfois même, dans le cadre de plans de recherche régulièrement activés par les pouvoirs publics, avec des laboratoires et des chercheurs en sciences de l’éducation et en sciences cognitives. Les dirigeants ou salariés de ces entreprises sont souvent d’anciens enseignants.
J’ajoute que l’un des rôles de l’AFINEF, en tant qu’association regroupant les entreprises du numérique pour l’éducation, est de multiplier les occasions d’échanges avec l’écosystème, sans oublier les acteurs publics, qui ont un rôle de prescripteur et de conseil.
La pyramide est parfois un peu trop haute, de la Direction du numérique pour l’éducation en centrale aux DANE, et désormais aux DRANE dans les académies, les recommandations doivent encore percoler en direction des établissements. Même si les équipes numériques des services académiques tiennent ce rôle et sont souvent à l’écoute des entreprises côtoyées sur le terrain, l’AFINEF s’applique à provoquer les échanges entre tous les acteurs de la chaîne. Son rôle est autant de remonter les besoins du terrain que de sensibiliser les acteurs publics à l’importance pour toute entreprise d’inscrire son action dans la durée. Il faut se donner le temps de développer des biens et des services en cohérence avec les besoins, dans une temporalité respectueuse des réalités économiques.
Je parlais du rôle positif de la recherche pour une filière industrielle, mais ces initiatives ont trop souvent donné lieu à des expérimentations de solutions pour lesquelles le passage à l’échelle n’avait pas été anticipé, qui plus est sur des segments de marché encore balbutiants, voire inexistants.
Aujourd’hui ces initiatives ont presque galvaudé le principe de financements de la filière par la recherche et de ce point de vue, les plans de relance et d’accélération doivent constituer un véritable appel d’air pour installer durablement notre filière !
Que penser des annonces pour le numérique éducatif dans le plan de relance ?
Le plan promet d’être ambitieux. Il faut louer l’effort des associations de la filière* qui ont porté ensemble des propositions qui, pour une part, le structurent aujourd’hui.
Leur présence lors des États généraux du numérique, en novembre dernier, illustre à la fois la synergie qui s’est enclenchée entre acteurs publics et acteurs privés, mais aussi la maturité même d’une filière qui prend son destin en main, forte de l’offre toujours plus riche et innovante de ses entreprises et légitimée par l’expertise de ses acteurs.
L’implication de l’AFINEF dans la rédaction d’un Code de conduite RGPD auquel toute la filière est associée en est une bonne illustration. La volonté de la filière de clarifier, simplifier, harmoniser la bonne application de la protection des données dans le respect du règlement européen est une œuvre collective qui embarque également le ministère de l’Éducation, les académies et les collectivités territoriales.
Comment s’annonce l’avenir pour la filière ?
Il faut commencer par regarder en arrière et s’arrêter sur les conséquences de la crise sanitaire sur les entreprises de notre filière.
Pour beaucoup, la COVID a constitué une opportunité de se faire connaître. Le recours au freemium, qui consiste à mettre gratuitement à disposition une ressource à destination d’un public cible, pour la lui faire découvrir et pourquoi pas adopter, a rencontré un grand succès lors du premier confinement. Des entreprises ont ainsi misé sur cet appel d’air, prenant le risque de s’endetter pour répondre à une demande très conjoncturelle.
Embauches et investissements dans de plus gros serveurs ne pouvaient être compensés que si les utilisateurs souhaitaient bénéficier des services payants associés à ces nouvelles solutions. Or le taux de transformation a été plutôt faible. La période a finalement surtout profité aux acteurs dont les solutions étaient déjà efficientes et bien identifiées sur le marché.
Même si les pouvoirs publics sont convaincus de la pertinence de l’apprentissage hybride, entre présentiel et distanciel, la filière n’a de cesse de rappeler l’importance de soutenir la pérennisation de ces usages du numérique. Nous militons pour que l’effort et le risque pris par nos entreprises pour répondre au besoin numérique pendant cette crise soient pris en compte et bénéficient d’un soutien d’ampleur.
La Covid a permis à la filière de se positionner, de se tester à grande échelle, d’être jaugée, d’améliorer et d’adapter ses solutions. Elle demeure cependant constituée principalement de TPE et grand nombre d’entre elles sont aujourd’hui dans l’obligation de signer des contrats, au risque de disparaître sans avoir pu transformer l’essai.
Certains pourront arguer que c’est aussi le quotidien d’une filière industrielle, et la preuve de sa vitalité. En tant que représentant d’une association dont l’une des missions est de valoriser les entreprises du numérique éducatif, il nous semble que la filière n’est pas encore suffisamment structurée pour se résoudre à cette fatalité.
C’est d’ailleurs pour cette raison que l’AFINEF et ses partenaires* sont mobilisés au quotidien pour défendre l’idée d’une grande filière du numérique éducatif, dans un marché pérenne et pluriel.
Pour illustrer notre démarche et rappeler l’une des positions défendues par la filière de porter l’offre au plus près du besoin des enseignants qui sont les premiers utilisateurs du numérique, nous sommes en train de réfléchir ensemble, associations réunissant les entreprises du numérique éducatif et Banque des Territoires, mais aussi ministère de l’éducation et Direction Générale des Entreprises, à la mise en place d’un “Pass’ Éducation”, qui leur permettra d’accéder facilement et simplement à des solutions numériques (ressources, services associés et objets numériques pédagogiques) pour leur travail en classe au quotidien. Cette initiative illustre la volonté de tous les acteurs concernés de prendre le sujet du numérique à l’école à bras-le-corps !
*EdTech France, Les éditeurs d’Éducation, mais aussi les associations en régions (Educazur, EdTech Lyon, Edtech Grand Ouest, SPN Poitiers).